2017-11-18

Promenade vers la Place Bellecour, en 1915

Tant d’heures passées à lire toutes les lettres de Marie, envoyée à André entre 1914-1918, m’ont permis d’entrer dans l’intimité de cette jeune femme de 26 ans et de mieux comprendre la vie quotidienne à Lyon en 1914-18.
Je fais la présentation de cette correspondance aux Archives de Lyon ce mois-ci, à l’occasion de la semaine de la généalogie.

Pour ce #RDVAncestral, je vais rendre visite à Marie, le 20 octobre 1915.


Je pousse la porte d’allée de l’immeuble*où elle habite rue Sainte-Hélène.
Oh justement, la voilà qui descend l’escalier avec ses deux enfants, Jean et la petite Anne qui a fait ses premiers pas quelques semaines auparavant.


Elle me propose de l’accompagner dans sa sortie. « Il faut que les enfants prennent l’air ».
Tous les jours entre 14h et 16h, lorsque le temps est clément, la jeune femme se montre Place Bellecour pour la promenade des enfants. Elle retrouve quelques connaissances, c’est l’occasion d’échanger des nouvelles de leurs hommes qui sont partis à la Grande Guerre.

Marie m'amène voir les canons pris aux Allemands qui sont exposés comme des trophées de guerre.



Du haut de ses trois ans, Jean est fier de raconter que son papa s’occupe des blessés dans son ambulance. Nous croisons ceux qui séjournent à Lyon, des poilus en uniforme les bras en écharpe, d'autres marchant avec des béquilles, des mutilés, des gueules cassées. Les Lyonnais sont habitués à les voir, ils sont arrivés si nombreux dans les hôpitaux.

Mais puisque le « gros petit Jean » est impatient de jouer dans le sable avec son seau et sa pelle, nous nous installons sur un banc auprès de Tanmy, la tante d’André qui se fait une joie de rejoindre sa nièce et les enfants. 

Je reconnais la jeune femme qui vient saluer Marie, c’est Thérèse, l’épouse de Fabien A. dont je vous parle dans mes articles que vous pouvez lire dans les pages précédentes. Elles habitent dans le même quartier. Thérèse est grosse de son deuxième enfant.



« Je ne sais plus que faire à manger à nos pauvres très petits, c’est une misère pour avoir une quantité suffisante d’un lait quelconque et les œufs qu’on paye 4 et 5 sous pièce sont très souvent de vraies saletés. » dit Marie. Elle se plaint surtout de la difficulté à s’approvisionner en lait. « Il n’y a plus ni automobiles, ni chevaux on ne trouve plus de laitière de campagne.» 
Je ne peux pas leur expliquer, à ces jeunes mamans dont la vie devient si difficile, que cent ans plus tard, on achète facilement le lait stérilisé, conditionné en briques qui se conservent très longtemps. A notre époque, nous avons oublié qu’autrefois le lait était livré tous les jours en ville et qu’il fallait le faire bouillir avec précaution pour le conserver un peu.

Thérèse qui a une bonne laitière, propose « d’en fournir la quantité nécessaire à Marie à condition d’envoyer tous les matins Joséphine, avec une berthe, chercher le lait chez elle.» 
Toute heureuse de cette opportunité, Marie remercie vivement la lointaine cousine de son mari.
Cependant dès qu’elle a tourné les talons, Marie me confie sans méchanceté :
« Thérèse Arcelin a une énormité de fille, élevée complètement au biberon, mais je ne l’échangerais pas contre la mienne au point de vue beauté ! »

Bien que je l’ai connue âgée, je peux témoigner que la petite Élisabeth deviendra une belle femme.
Il m’est impossible d’avouer à Marie que sa petite Anne sera emportée par la grippe espagnole avant d’avoir 12 ans.

Elle ajoute avec une pointe de jalousie: 
« Encore une qui ne s’aperçoit que bien peu de la guerre, son mari est pacifiquement à Lyon. »
Alors là, je dois expliquer qu’il travaille à réparer des blessés touchés par des éclats d’obus et qu’il sauve des vies dans son service de radiologie de l’hôpital militaire, ce docteur Arcelin, qui d’ailleurs intimide tant Marie Leclerc.

Le jeune femme est maintenant pressée de rentrer chez elle pour écrire sa lettre quotidienne à André.



2017-11-12

Fabien A. un mariage d’amour bien arrangé


Elle, Thérèse, ravissante, la taille fine, une artiste qui dessine...
Lui, Fabien, séduisant, médecin chercheur...

    


Leurs fiançailles sont annoncées en octobre 1909.


Le contrat de mariage est signé le 19 novembre 1909, au domicile de la famille de Thérèse, place des Célestins.

Sans tarder, le mariage est célébré le mardi 23 novembre 1909 à la mairie, suivi de la cérémonie à l’église Saint-François de Sales à 11 h.
Les témoins de Thérèse sont ses deux oncles; sa mère est veuve depuis neuf ans.
L'oncle paternel, Louis Chartron est d’autant plus proche qu’il a épousé Fanny, sa tante maternelle.

L'oncle, Jean Morat a certainement joué un rôle important pour organiser ce mariage, c’est ce que je vais vous expliquer...




Le jeune couple part en voyage de noces en Italie, ils réalisent le rêve des fiancés de leur l’époque.
La photo ne laisse aucun doute, ces deux-là sont heureux et amoureux.

Pourtant, il semble bien que ce soit un mariage arrangé, ce qui était encore la norme au début du XXème siècle. En tout cas, si des intermédiaires ont eu de l'influence, on se doute que le choix de la tante de Thérèse était judicieux. Jean le mari de Jeanne qui exerce comme professeur de médecine à Lyon est originaire du village où vit la famille de ce jeune docteur.
Voilà, la tante comme la nièce épousent un docteur en médecine habitant le même lieu de Saint-Sorlin en Mâconnais.
Quelques années plus tard en 1920, les liens familiaux s'enchevêtrent avec bonheur. Georgette, la petite sœur de Thérèse a 25 ans, elle est unie avec Pierre qui a 33 ans, c'est un cousin issu de germain de Fabien; le couple a  exactement le même âge que Thérèse et Fabien lors de leur mariage.


Une histoire de cœurs
Fabien avait examiné 2000 cœurs avec les nouvelles techniques des Rayons X. En effet, sa thèse de médecine, qu’il a soutenue trois ans avant son mariage, s’intitule poétiquement « les aires de projection du cœur pathologique ».

On peut lire sa thèse sur https://archive.org/details/lesformesdelaire00arce
et voilà la confirmation de mon hypothèse sur le rôle du professeur Morat : il fait effectivement partie du jury comme assesseur.

Son cœur a, semble-t-il, trouvé en Thérèse la compagne idéale, leurs deux cœurs s’unissent pour 33 ans de vie commune. 

Le cœur de Fabien s’arrête de battre en octobre 1942, terrassé par une crise cardiaque.

Sa veuve vit encore huit années, jusqu’en octobre 1950

La mémoire familiale retient que Thérèse a joué discrètement son rôle d’épouse qui a su assister Fabien. Elle dessinait les croquis de ses publications archéologiques. Elle avait une grande patience pour accepter son savant de mari, passionné par ses recherches, mais rêveur et inventif dans le domaine scientifique, il se montrait parfois incroyablement éloigné de la réalité quotidienne de sa nombreuse famille.


Pour mieux connaître Fabien, vous pouvez lire aussi :