2017-05-20

Antoinette, une lectrice, faiseuse de mode… que de mystères !

Ce Rendez-vous Ancestral (#RDVAncestral) arrive à la suite de mes deux précédents billets sur Claude Sauvade.
Puisqu'elle réside près de chez nous, je propose d'aller voir son épouse, Antoinette P. J’aimerais tant pouvoir remonter dans l'arbre de celle-ci, mais cette branche reste encore mystérieuse.


Lorsque je passe par la montée du Chemin Neuf, je lève les yeux sur la façade de cet immeuble, en me demandant laquelle est la fenêtre de sa chambre. Il faudrait un jour que je m’arrête pour lui faire une visite.

Montée du Chemin Neuf, n°2


Nous sommes en 1873 à Lyon, puisque je sais qu’elle va mourir avant la fin de l’année, je dois rencontrer Antoinette Poutrain.


Je frappe au n° 2, la porte est ornée d’une belle croix en fer forgé. Une religieuse m’introduit dans la chambre d’Antoinette, elle ne sait pas me dire si leur pensionnaire est âgée de 80 ou 84 ans (ce qui ne va pas m’aider à retrouver sa date de naissance).

Antoinette Poutrain
Notre arrière-arrière-arrière-arrière-grand-mère paraît heureuse d’avoir de la visite. Clotilde, sa fille, est trop occupée pour venir tous les jours. Je lui montre l’album de photos pour qu'elle me décrive chacun de ses petits enfants : l’aîné Antoine est un jeune homme de dix-sept ans, Joséphine a quinze ans, Augustin treize ans, Jeanne onze ans, la plus jeune Fanny a cinq ans.
Cette énumération la fatigue, (ce n'était peut-être pas une bonne idée d'apporter cet album), elle demeure en silence, plongée dans ses pensées, puis elle me dit :
- Notre fille unique est venue habiter Lyon, elle a maintenant une grande famille notre Clotilde. 

Elle ajoute qu’elle aimerait aller à Mons ou à Montbrison, pour voir sa sœur.
Je ne comprends pas très bien, alors je lui fais répéter Mons ou Montbrison ? Une sœur ou deux sœurs ? Narcisse Sophie et Sidonie Joseph ?  Une sœur ou une sœur religieuse ? (Je pose trop de questions, je le sais, mais si je pouvais ajouter des informations sur sa famille …)
- Narcisse, ma sœur a 80 ans, elle habite à Montbrison, rue de la Madeleine.

J'insiste : Est-elle votre sœur, cette Sidonie, fille de Pierre Joseph Poutrain, décédée le 17/10/1864 dans le couvent des sœurs noires, à Mons, Hainaut ?
- Ma mère s’appelle Thérèse Angélique Jacque…. 
(Le doute est là, concernant la mère de Sidonie, faut-il entendre Jacquemart ou Jacquet ?)
Je ne sais si la vieille dame est sourde ou amnésique mais la conversation s’avère laborieuse.

Nous restons en silence.

Elle aimerait que je lui lise des livres. Une légende familiale raconte qu’Antoinette (ou bien sa mère) était lectrice de la reine. De la reine ! … quelle reine ? Antoinette est née à Mons, en Belgique entre 1789 et 1793.
Je n’ai pas réussi à trouver de traces pour étayer cette histoire que j’aimerais étoffer.
A propos d’étoffe, chère Antoinette est-il vrai que vous étiez couturière ?
- J’étais faiseuse de modes à Montbrison, avant mon mariage.

Ses parents étaient déjà décédés et je ne sais rien de plus que leur nom. Antoinette m'en dira-t-elle davantage?

Le parcours se dessine. En 1828, Antoinette avait trente huit ans lorsqu’elle a épousé Claude Sauvade qui en avait dix de plus. Le fameux Claude dont j’ai réussi à trouver les vrais parents, grâce à la publication de leurs bans à Montbrison.
-Je n’ai pas vu votre acte de mariage, lui dis-je.
Antoinette sait que les archives de Paris ont brûlé il y a deux ans, en 1871. Je lui demande pourquoi elle ne s’est pas mariée à Montbrison. Elle m’explique que Claude résidait à Paris, 33 rue du Colombier. (Et moi qui le cherchais à Saint-Etienne.) Que faisait-il à Paris ?
- Claude était employé au ministère des finances à cette époque-là. Nous avons ensuite habité à Saint-Etienne, rue de la Loire. C’est là qu’est née Clotilde en 1833.

Antoinette est veuve depuis une quinzaine d’années. Claude est décédé dans leur maison de Crémerieux en 1858.

Elle me demande si je vais aller à Mons. Effectivement j’aimerais connaître sa ville et l’histoire de sa famille. Elle voudrait m’aider … mais elle reste silencieuse un long moment.
Antoinette souhaite encore que je lui fasse de la lecture. Je prends un livre et je lis lentement :
«On n’est
 On n’est pas
On n’est pas là
On n’est pas là pour
On n’est pas là pour disparaître »[1]

Je vois qu’elle écoute, je continue à lire 
« Pour restituer le cheminement d’une existence, il faut tenir compte des aléas, des brisures, des défaillances qui la composent, ruptures, défaillances, brisures qui ne sont pas forcément lisibles sur les biographies officielles. L’existence est en effet trouée et inégale »[1]

La vieille dame paraît absente, je comprends que je dois respecter son silence et prendre congé.
Sur le pas de la porte,  elle me demande si je pourrais un jour revenir pour lui faire la lecture.


Voici les autres billets de cette série concernant la famille de son époux Claude Sauvade

La maison où est né Claude Sauvade : le moulin de Richard
L'oncle de Claude Sauvade : Jacques Sauvade 
L'oncle de Claude Sauvade : Benoist Sauvade au destin tragique 
➣Sa fille : autour de Clotilde


[1] Olivia Rosenthal, on n’est pas là pour disparaître, Gallimard, 2007, 216 p.

5 commentaires:

  1. Quellle chance d'avoir des photos qui viennent de si loin dans le passé ... et la légende familiale avec. :)

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  2. Un très beau RDV Ancestral ! A te lire j'ai eu l'impression d'être présente ... belle réussite :)

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  3. Bonjour,
    Quelle merveilleuse rencontre et comme j'aimerai savoir raconter ainsi.
    Merci

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  4. La photo d’Antoinette je l’ai numérisée, elle est dans un album (qui ne m’appartient pas) où les noms ne sont pas inscrits.
    Mais comme je mène l’enquête depuis longtemps, les indices me permettent de la situer ainsi que ses petits enfants. C’est dommage, ses descendants ne connaissent pas sa vie. Je viens de faire le compte, sur 7 générations, actuellement elle a plus de 200 descendants.
    J’ai voulu lui rendre hommage ici.

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  5. Comme toujours par petites touches commencer à dénouer un fil de vie.
    Mystérieuse Antoinette

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